Un blogueur qui se montre bien dubitatif sur les intentions du grand patron de Publicis :
Maurice Levy, patron de Publicis, fleuron français de la pub (plus de 5 Mds€ de chiffre d'affaires et 10% de rentabilité nette en 2010), était jusque-là
relativement inconnu du grand public. DG du groupe depuis 35 ans, PDG depuis 25 après avoir succédé au fondateur de la boîte, ayant fait grandir celle-ci à un rythme très soutenu notamment à coup
d'acquisitions (parfois hostiles), il n'a pas eu les outrecuidances médiatiques d'un Messier ou la réputation égomaniaque d'un Ghosn. Il n'en a pas moins amassé 108 M€ de fortune et est le 5ème
patron le mieux payé de France avec 3.6 M€ annuels. Il est également à la tête du discret lobby patronal nommé AFEP (Association Française des Entreprises Privées). Un ténor du CAC40, discret et
puissant, un peu "old school". Or, le voilà à la une de l'actu avec son appel à être plus taxé dans Le Monde le 16 août suivi d'une invitation dans la matinale de France Inter le 28 août puis
d'un article dans le Financial Times le 30 («I am not a masochist but the rich must pay more»). Que penser de Maurice Levy? Emule de Warren Buffett? Parangon de solidarité? Porte-parole des plus
fortunés qui pensent qu'il faut faire un geste pour sauver leur avantages? Ou idiot utile (conscient ou inconscient) d'un sarkozysme qui vient de taxer a minima les riches?
Levy vs Buffett
Le premier à dégainer dans la demande d'être plus taxé a été Warren Buffett dans le New York Times le 14 août, présent depuis des temps immémoriaux dans le Top 10
des plus grandes fortunes de la planète (il a même été n°1 en 2008). Notons déjà que la tribune de Buffett n'était pas une grosse surprise: il a déjà par le passé fait connaître ses positions sur
le sujet en souhaitant que soient abolies les baisses de taxes pour les plus fortunés mises en place par Bush fils ou encore que l'impôt sur les successions soit drastiquement relevé. Position
qu'il partage avec Bill Gates. Il a par ailleurs prévu de donner une grande partie de sa fortune à la fondation de ce dernier. Que nous-dit Buffett? Qu'il entend parler de sacrifices à faire mais
que, s'il voit bien ceux faits par les classes pauvre et moyenne, lui (ainsi que ses potes mega-riches, selon son expression) n'en a pas vu la couleur. Il n'hésite pas à donner le montant de son
impôt sur le revenu au dollar près (env. 7 M$) en précisant que son taux d'imposition est de 17%, le plus faible parmi les 20 salariés de son siège. Ses analyses ne manquent pas de sel. Il
rappelle que les taxations sur les gains financiers étaient de 39.9% en 1976-77 et que ça n'empêchait personne d'investir et de faire du profit... et surtout pas lui! Et donc que les très grosses
baisses consenties à ce sujet ne sont que des cadeaux sans justifications économiques. Maurice Levy, lui, ne nous parle pas du montant de son impôt sur le revenu de l'an dernier. Dommage,
l'information aurait été intéressante! Après tout, il demande à être plus taxé, il eut été intéressant de savoir d'où il part... Maurice, si tous nous lis... Non, M. Levy commence par nous
infliger un pensum sur l'analyse de la situation économique actuelle qui, pour lui, n'est pas si noire («J'ai été surpris de voir combien les discours allaient tous dans le même sens, et que
rares étaient ceux qui tentaient d'expliquer sereinement et rationnellement les choses»). Un peu de retape pour la règle d'or, une condamnation de la dépendance de l'Etat à l'égard de la dette
et, enfin les propositions. Avec, en n°1, une réduction «brutale» des déficits et notamment des dépenses. Bref, de la super-rigueur. Ensuite, seulement en n°2, une contribution des riches, des
«nantis» dit-il lui-même dans lesquels il s'inclut timidement («nous» et non «je» - là où Buffett assume totalement le "I"). Attention, les patrons méritent leurs rémunérations («et pour certains
plus encore») mais il faut bien contribuer à l'effort national donc va pour une taxe. Mais exceptionnelle, hein! Il ne faudrait pas que ça dure trop. Bref, il n'y a pas photo entre Buffett et
Levy et il paraît étonnant que l'un ait été signalé dans la lignée de l'autre. Là où Buffet dénonce les excès, parle à la première personne du singulier et donne le montant de son impôt, plaide
pour une aide pour les plus défavorisés et pour un relèvement permanent des impôts des plus fortunés, Levy propose une cure d'austérité à laquelle il veut bien contribuer du bout du
portefeuille.
De bien petits actes
Le 25 août, c'est une brochette de 16 très fortunés (dont Maurice Levy) qui lance un appel dans le Nouvel Obs: «Taxez nous !». Ils demandent que soit mise en place
une «contribution exceptionnelle» les concernant. Mais attention, cette bonne volonté est assortie d'une quasi-menace: elle doit être «raisonnable» sans quoi il risque d'y avoir des «fuites de
capitaux» ou de l'«évasion fiscale» (Liliane Bettencourt, signataire de l'appel, n'a pas attendu pour pratiquer). Et puis, nos bons riches le précisent bien: cette taxe n'est pas une solution en
soi, il faut aussi que l'Etat gère mieux son argent (austérité donc). Dans la foulée, François Fillon obéit aux demandes des plus riches en décidant une taxation exceptionnelle (qui prendra fin
lorsque le déficit repassera sous les 3% du PIB, soit normalement en 2013). Elle a le mérite de porter à la fois sur les revenus du travail mais aussi du capital. Son montant et son assiette sont
par contre on ne peut plus symboliques: 3% sur la somme excédant 500.000€ de revenu par part. Cela veut dire que, pour un couple sans enfant à charge, il faut gagner plus de 100.000€ bruts par
mois. Autant dire que l'on ne touche que les très très aisés. Imaginons ce même couple qui gagne 150.000 € bruts par mois et 150.000 € de revenus du capital par an. Il paiera une contribution
exceptionnelle de 16.500€ en 2012 soit 1% de ses revenus! Cela revient (pour cet exemple) à remonter temporairement la tranche haute du barême de l'IR de ce couple de 41% à 42,4% (voir calcul
plus bas). Par ailleurs, la baisse du barême de l'ISF (couplée à la suppression du bouclier fiscal) avait fait perdre environ 1,5 Mds€ de recettes annuelles à l'Etat. Cette contribution
temporaire va permettre de faire rentrer 200 € seulement. Bref, Maurice Levy a parfaitement joué son rôle d'idiot utile du Sarkozysme en mettant en scène une bien dérisoire contribution des plus
fortunés.
In bed with Maurice Levy
L'intervention de Maurice Levy sur France Inter (interview et questions) ce lundi était fort intéressante. En effet, les tribunes présentent le désavantage d'être
unilatérales alors qu'ici le questionnement a permis de comprendre un peu mieux la pensée du patron de Publicis. On y apprend que, selon lui, la contribution doit être «significative et forte»
mais qu'il ne veut pas se prononcer sur le pourcentage donné par François Fillon. Nous apparaît également la genèse de sa tribune: non pas la volonté d'anticiper la taxe en faisant pression "à la
baisse", non pas préparer le terrain pour le gouvernement, juste le fait qu'au «milieu des vacances», il avait été attéré par la perte du AAA américain et par le «choeur des pleureuses» et des
«déclinologues» qui s'en est suivi. Il a alors senti qu'il était de son «devoir» que de prendre sa plus belle plume pour écrire au Monde pour insuffler un peu d'optimisme. Touchant. Interrogé à
juste titre par Patrick Cohen sur le fait que Warren Buffett demande, lui, un rééquilibrage durable des impôts et non une rustine temporaire, Levy lâche un «peut-être j'en sais rien», puis
concède qu'il est prêt à payer plus d'impôts mais que, bon, ce qui compte avant tout, c'est de s'attaquer aux déficits: suggérons à Maurice Levy qu'il y a un certain lien entre impôts et
équilibre budgétaire... mais lui préfère parler d'une baisse drastique de la dépense publique. Plus facile, forcément (pour lui)! Pour ce qui est de la suspicion d'une volonté de redorer le
blason des patrons, Maurice Levy, le grand manitou de la communication, dit qu'il a juste eu «un coup de sang» et aucune autre volonté. Amusant. Il nous fait savoir également qu'il n'a «pas le
temps de faire de l'optimisation fiscale» et qu'il paye donc plein pot ce qui fait le «désespoir de [son] conseiller fiscal» (on se demande bien pourquoi il a un conseiller fiscal si c'est pour
payer plein pot). Lorsqu'est abordé le fait largement documenté désormais de l'envol des rémunérations (comparativement au reste de la population) d'une très petite frange de la population
(<1%) et notamment des patrons de grandes entreprises, Maurice Levy nous ressert la fable du mercato des grands patrons. Ceux-ci seraient tellement demandés qu'il a bien fallu aligner leurs
émoluments sur ceux du monde anglo-saxon. Il pousse même jusqu'à dire que cette hausse du salaire des patrons serait due à la mise en place d'une «bonne gouvernance» et qu'il y a eu «pénurie de
dirigeants». Quand Patrick Cohen lui demande un exemple de patron s'étant exilé, il hésite puis botte en touches en parlant des «100.000 cadres et ingénieurs travaillant dans la Silicon Valley».
M'est avis que peu d'entre eux touchent le salaire du patron de Publicis. Challengé sur la possibilité d'une hausse des tranches marginales de l'impôt vers des pourcentages beaucoup plus élevés
(comme cela a été le cas aux USA à une époque), il s'étonne que les journalistes passent autant de temps à disserter sur les salaires des patrons (que fait-il là alors?) au lieu de parler de la
compétitivé des entreprises. Taxer davantages les successions? Il trouverait ça «dommage». Par pour lui (grands dieux !) mais pour les PME. Au final, je ne comprends pas trop ce que Maurice Levy
a essayé de faire. Est-il en service commandé pour l'Elysée? Possible. Si ça n'est pas le cas, c'est à désespérer. Escomptait-il vraiment, par ces déclarations, montrer la solidarité des très
hauts revenus avec le reste des Français? A-t-il cette naïveté, cette déconnexion avec le "monde réel"? En tout cas, il est un très bel exemple de l'archaïsme du monde patronal français, engoncé
entre des théories cache-sexe pour justifier leurs revenus et un reste de culpabilité maladroite.
Article sur : http://resultat-exploitations.blogs.liberation.fr/finances/2011/08/levy.html