Dans le Direktor de Lars Von Trier, le propriétaire d’une société informatique embauche quelqu’un d’autre pour jouer son rôle, n’osant
assumer ses décisions impopulaires devant ses salariés. Le « management de transition », c’est un peu ça : embaucher un super-cadre pour une durée déterminée, afin de lui faire
exécuter la sale besogne.
Avec la crise, ce sont surtout les coupeurs de têtes patentés, les habitués des plans sociaux, qui ont le vent en poupe, particulièrement ceux qui ont traversé les mini-crises de 1993-1995 et
2001-2003. « Depuis octobre 2008, les missions de gestion de projet, de relance de l’activité ou de mise en œuvre de nouveaux outils de production ont cédé la place à des missions de
crise », détaillait ainsi dans le Monde Éric le Touzé, directeur général de Michael Page International, leader mondial en recrutement de cadres.
Le client idéal pour ces managers ? Les fonds d’investissement qui, après avoir racheté des entreprises à tour de bras, réduisent à présent leur
« portefeuille » pour faire face à la crise. Mais d’autres sociétés, y compris des PME-PMI, peuvent avoir recours à ces mercenaires du plan social.
« Les entreprises font d’autant plus appel à des managers de transition que nous sommes dans une période de gel des embauches et des investissements », souligne Bruno Calbry du cabinet
Immédia. « Ces managers leur permettent de gérer une action urgente et inhabituelle sans bousculer leur organisation, et surtout sans alourdir la masse salariale, puisqu’il s’agit de
missions facturées en prestation de services et variables par nature. La demande se porte actuellement sur des besoins en ressources humaines (plans sociaux) ou financiers », poursuit le
directeur général d’Immédia. Selon une enquête de ce cabinet spécialisé : « Les dernières études de la profession montrent que de 30 % à 60 % des entreprises risquent de faire
appel à un manager de transition en 2009-2010. » De nombreux salariés vont donc voir arriver, cette année ou celle d’après, un affable cadre chargé de les virer.
Sachant que tout cela a quand même un prix : « Cela coûte facilement 1 000 euros la journée, poursuit Laurent Durgeat, responsable de la communication du site Internet
lemanagerdetransition.com. Donc les entreprises ne font pas cela par hasard, elles ont forcément un objectif précis. »
De son annonce aux derniers départs, un plan social s’étend sur environ deux ans. En amont, la direction a parfois pris soin d’organiser la
non-rentabilité du site concerné, en laissant le carnet de commandes se rabougrir, l’outil de production vieillir ou le savoir-faire partir en retraite. Une fois la mauvaise nouvelle annoncée,
commence la lutte proprement dite.
C’est là qu’intervient le « spécialiste ». Celui qui ne tombe pas en dépression pour état d'âme. Celui qui sait « communiquer », en faisant passer les "mauvais" salariés de
dangers pour l'entreprise. « Ils sont recrutés pour redresser une entreprise sans affect, donc forcément, les managers de transition ont une image de casseurs », avoue tranquillement
Laurent Durgeat.
Certains « nettoyeurs », comme les appellent parfois les salariés, peuvent devenir des managers permanents, recrutés par l’entreprise
satisfaite de leurs services.
Il existe des constantes. Un bagage juridique ou en communication est généralement un plus. Car les entreprises qui licencient ne craignent rien moins que la procédure aux prud’hommes pour un
vice de forme, ou un retentissement médiatique qui ne manquera pas d’attirer l’attention des politiques. Mais, dans cette belle profession, rien ne vaut l’expérience de terrain. « Ces
managers sont en général de super-experts, qui ont déjà vécu ce type de manœuvre, poursuit Laurent Durgeat. Ils sont donc en général surdimensionnés par rapport au poste qu’ils vont
occuper. » Et les entreprises vont jusqu’à leur créer des postes de toutes pièces, en cumulant différentes fonctions. On ne compte plus les cadres qui bondissent de la DRH à des fonctions
exécutives, ou qui finissent, en « pleine phase critique » comme on dit dans leur jargon, par faire à la fois office de directeur général et de directeur financier. Histoire de tout
contrôler et de mettre tout le monde au pas, y compris les autres cadres, anciens de la maison, qui parfois se révèlent trop proches des salariés sur la sellette.
Ces cadres communiquent d’autant plus volontiers, comme Luc Bramy (lire ci-contre), qu’ils ne sont pas directement responsables. Ils ne sont que des exécutants, des armes aux services de leurs clients directs, les actionnaires. « Mais le jeu n’est pas équitable face à ce genre de gars », déplore Jean-Marie Michel, cégétiste qui a côtoyé Luc Bramy pendant le conflit à STMicroélectronics. « Ces types ont un véritable savoir-faire en fermeture de boîtes. Ce n’est bien sûr pas le cas des employés et syndicalistes qui se trouvent en face de lui. Eux profitent immédiatement de la moindre de nos erreurs. »
La seule faiblesse des « nettoyeurs » : leur présence est un indice en soi. Leur arrivée dans une boîte apparemment sans histoire signifie donc, à coup presque sûr, qu’il va y avoir du grabuge. Donc, si vous voyez arriver dans votre entreprise un cadre, forcément dynamique, qui devient subitement incontournable et devant lequel les portes semblent s’ouvrir toutes seules, essayez de dénicher son CV !